Quand l'image n'est pas réalité

Publié le par Hervé Pugi

L'Histoire est un tableau. Elle l'a toujours été. À l'image de la toile de David, "Le Sacre de Napoléon 1er", il y a le sujet : Napoléon, lauriers vissés sur la tête présentant la couronne impériale au-dessus de la tête de Joséphine de Beauharnais. Et puis, il y a ceux, Pie VII compris, qu peu sauraient identifier, placer dans l’espace : ces noms croisés ici où là aux détours des études, d’un livre, d’un documentaire. Où se cache Talleyrand ? Et Joachim Murat ? Jacques-Louis David se serait lui-même invité à la noce mais impossible de débusquer le « gratteur ». Et puis, il y a tout ces autres dont la postérité a jugé bon de n’offrir qu’un souvenir vague ou de les plonger tout simplement dans l’oubli, n’intéressant finalement que les seuls initiés de cette période. Enfin, il y a les « sans visages propres », cette noblesse de cour bien présente mais qui disparaît sous les traits de quelconques inconnus sortis tout droit de l’imagination d’un peintre qui se permet, pour l’occasion, sa seule chevauchée folle dans cette commande propagandiste où tout a été réfléchi, pensé.

Car l’artiste a laissé place à un responsable graphique d’une agence publicitaire. David a été convoqué, les exigences lui ont été expliquées : ce tableau ne doit pas être fidèle à l’événement, il doit être fidèles aux idées que l’événement doit propager. Alors, insensiblement, l’Histoire se réécrit sous les coups de pinceau du premier peintre de l’Empereur. Pas de scrupule à avoir. Celui-ci ne peint pas l’Histoire, il peint ce que son tyran corse lui réclame. Il n’est pas le maître, il est l’esclave. Il n’est ni la cause ni la conséquence, il est le moyen. Il n’est pas la lumière, il est le prisme.

Voilà ce qu’est l’Histoire. Un tableau lointain de la réalité. Une toile dont la foule ne retient finalement que le premier plan, occultant la force de la symbolique, cachée par ailleurs, dont le rôle est généralement de marquer l’inconscient collectif ou encore d’adresser quelques messages aux adversaires politiques. L’œuvre est somme toute destinée à forger une opinion publique et très clairement pas à établir une réalité historique.

Puis vint la photographie et le cinématographe. Mais les images mouvantes n’ont pas cassé ces codes. L’interprétation faite d’une situation n’est finalement que la résultante de ce que le journaliste (qui a remplacé l’artiste de cour) veut bien lui donner. Plus de dictateur mais un diktat. Celui de l’instantanéité, celui qui fait qu’un événement –mineur comme important- doit donner lieu à un jugement immédiat sous peine de péremption. La propagande a laissé place à l’information qui semble elle-même s’effacer au profit d’une ère de communication où la réalité importe guère pour peu que le message propage soit en accord avec les valeurs, bien trop souvent hypocrites, de la société.

Ainsi, quittons l’Histoire avec un grand H pour plonger dans le quotidien français. Février 2006, le tonitruant George Frêche se donne en spectacle lors d’un hommage à un ancien leader pied-noir. Le président de la communauté d’agglomération de Montpellier traite les harkis de « sous-homme ». Propos d’une violence inouïe que rien ne saurait excuser. Pour le téléspectateur lambda découvrant à chaud les images sur France 3 le jour même de l’événement, l’histoire a une lecture. La phrase incriminée arrive après un échange de noms d’oiseaux entre le truculent « leader maximo » héraultais et des représentants harkis ralliés à l’UMP. Comment ceux-ci peuvent-ils soutenir l’émanation du mouvement gaulliste, celui-là même qui les a abandonné et parqué dans des camps des années durant ? Comment soutenir un parti qui, à l’époque, veut se laver les mains du passé de la France en proposant un texte de loi proclamant le « rôle positif de la colonisation » ?

Pour notre ménagère abrutie devant sa télé, les faits sont simples : des gens pas très intelligents s’embrouillent et, un mot entraînant l’autre, c’est l’inévitable dérapage. Reste que, pour l’histoire, George Frêche restera celui qui aura ajouté l’infamie à la condition misérable connue par les Harkis. Comment l’expliquer ? Dans un contexte de lutte verbale, voilà un personnage public jonché sur une estrade, face caméra, planté devant un micro qui assène des insanités quand ses opposants, obscurs inconnus, s’époumonent pour se faire entendre dans une clandestinité totale. La guerre de l’image est perdue d’avance pour l’ancien maire de Montpellier.

Car le… tableau est planté. Médias et politiques s’emparent de la querelle de clocher (tout part d’une manifestation parallèle organisée un peu plus tôt par le parti présidentiel à Palavas) et transforment George Frêche en un Jean-Marie Le Pen de gauche. La globalité du contexte s’efface pour n’offrir que la brutalité des propos. Le premier plan l’emporte, tout ce qui se passe autour est néantisé pour laisser place à l’émotion et l’indignation face à l’événement. L’opinion publique est faite. Le père Frêche aurait pu être un Saint-Homme, ce qu’il ne fut pas, il ne pouvait échapper au pilori médiatique. La réalité historique de l’événement importe peu, le contexte n’y change rien, on ne traite pas ouvertement une poigné de Harkis de droite de « sous-hommes » (message en accord avec les valeurs bien pensantes de l’époque), quand bien même les différentes majorités politiques n’ont eu de cesse de les rabaisser à une telle condition (réalité historique).

Publié dans Société

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